Hugo Pernet

Maxime Testu, Une Pastorale
Communiqué de presse, Poush, 2024


Les nouvelles peintures de Maxime Testu représentent des objets. Ce ne sont pas des objets contemporains, mais plutôt des objets traditionnels, agricoles ou mortuaires, anachroniques.
À la fin des années 1920 et jusqu’au début des années 40, un certain nombre de poètes choisissent, à contre-courant des diverses déclinaisons Surréalistes, de s’intéresser à la réalité. En France, Francis Ponge prend le parti des « choses ». Aux États-Unis, William Carlos Williams érige « une brouette rouge » en prototype poétique de l’objectivisme : ce mouvement, marqué par la pensée marxiste et le formalisme, considère le poème lui-même comme un objet. La brouette que Williams décrit dans son poème n’est rien d’autre qu’une brouette, quasiment préhensible par le lecteur.
Une particularité de la poésie « objectiviste » est son refus de la métaphore. Une jarre, des sabots, deux douilles d’obus, une machine agricole… les objets représentés dans les tableaux de Maxime Testu sont semblables à la brouette rouge : ils se suffisent à eux-mêmes. Ils se présentent frontalement, à la manière dont les objets utilitaires sont parfois montrés dans les musées ethnologiques. Ils ont quelque chose de terrien, qu’on pourrait assimiler au « bon sens paysan » : un tableau = un objet.

En histoire de l’art, un objet (le tableau) sur lequel sont représentés d’autres objets s’appelle une nature morte. Dans Nature morte aux poteries, 1660, le peintre espagnol Francisco de Zurbaran place trois pichets et un verre en métal côte-à-côtes sur une planche de bois, peut-être une étagère. En évacuant ainsi la question illusionniste des plans (les objets ne sont pas représentés les uns derrières les autres), il créé une image remarquable par sa simplicité et son évidence formelle. Le tableau devient quasiment un trompe-l’œil : quatre objets usuels sont posés devant nos yeux, avec rien d’autre à faire pour nous que de les regarder.
« Il ne s’agissait évidemment que de regarder des toiles de Buren-Mosset-Parmentier-Toroni », expliquait le tract distribué au public de la Manifestation n°3 de B.M.P.T (1967). Réclamer ce type d’attention littérale était là encore une manière de renvoyer à la réalité pratique de l’activité artistique, pour l’étendre jusqu’à sa réception interprétative. Tout en s’assimilant au genre de la nature morte, les tableaux de Maxime, associés aux objets ready-made présentés sur des socles, réactivent la ritournelle désuète du littéralisme.

Fabriquer le châssis, tendre la toile, manipuler le tableau, c’est s’assurer de ne pas dissocier l’activité pragmatique de l’activité symbolique de l’artiste. Barnett Newman expliquait qu’avant de commencer de nouvelles toiles, il prenait le temps de tendre, détendre, et retendre la toile brute sur le châssis, afin de la faire rétrécir et de la rendre « inerte ». En supprimant ainsi la qualité « sentimentale » du matériau, Newman prétendait couper court à la tentation de produire un objet d’art exclusivement esthétique.
Par des procédés « anti-techniques » assez semblables, Maxime Testu tente de donner à sa toile une présence éteinte, mutique, « taiseuse », pour filer la métaphore du monde agricole. En appliquant des couches de lavis teintés de rouge, vert, bleu ou jaune, il obtient une surface homogène, souvent assez terne, dans laquelle le dessin au fusain est fondu dans la couleur. Par leurs proportions et leur facture, leurs teintes sourdes, les tableaux de Maxime Testu évoquent l’ambiance « philosophique » de la peinture colorfield. Mais l’esprit de sérieux associé à cette période héroïque des dernières avant-gardes semble se dissiper comme une brume matinale au son de la flûte dissonante du berger.
Bizarrement, bien des œuvres associées à l’art d’avant-garde sont directement ou indirectement inspirées de la pastorale : Le Sacre du printemps de Stravinsky, les tableaux de Matisse comme La Joie de vivre ou La Danse... La peinture de Maxime est peut-être une déclinaison de ce « primitivisme d’avant-garde » qui se réapproprie en temps réel les items circulant dans le monde de l’art contemporain (en l’occurrence ici, néo-ruralité, artisanat, peinture figurative etc.) pour les retourner en sujets « froids », créant ainsi une espèce de dystopie référentielle perverse et délectable, en sous-texte d’une œuvre accessible au premier degré par le prisme de la figuration et de la couleur.