Questions à Hugo Pernet, 2022.
Les sources de tes images proviennent-elles parfois d’internet ?
- Non, les images naissent la plupart du temps dans la peinture en cours, par suggestion.
Dans ton processus de réalisation d’une œuvre à quel moment intervient l’usage d’un ordinateur ou d’un smartphone. Cela a t-il une influence dans tes choix artistiques ?
- Je prends souvent des photos avec mon smartphone quand j’arrive à un résultat, mais que je ne suis pas sûr que la peinture fasse image. Le tableau est un objet en trois dimensions qui est un trompe-l’œil d’image, et la photo permet d’évaluer la qualité du trompe-l’œil.
Les échelles de tes peintures sont très variées, parfois plus précieuses, parfois plus physiques. Comment définis-tu le format de tes œuvres ? Ton dessein s’adapte au format de ta toile ou ta toile s’adapte au format de ton dessein ?
- C’est plutôt la première solution, si j’attaque un grand format je n’ai pas la même attitude que si j’attaque un petit. Il faut être plus simple et plus ambitieux dans un grand format, plus concentré et relâché dans un petit. Mais au fond je choisis aussi le format en fonction de mon humeur, donc sans doute de ce que j’ai à dire.
Pour revenir sur tes petits formats en peinture, je me rappelle d’une expression très juste d’Ivan Fayard, « peintures de poche », l’édition, la manipulation de livre a-t-elle une influence dans tes choix ?
- Oui c’est possible, l’idée que le tableau peut être un objet qui se manipule comme un livre, un objet qui se lit matériellement et métaphoriquement comme une image, comme un poème, ça me convient.
Markus Saile que tu connais peut être, réalise une série de peinture intitulée « Pipe » en référence à la touche Pipe du clavier anglo-saxon. Cette touche sert à rediriger le flux de sortie d’un programme vers l’entrée d’un autre. Un format commun pour du numérique devient très étonnant une fois transposé en peinture. Dans tes constructions abstraites es-tu impacté par les rapports de formes des dispositifs numériques ?
- Je ne suis pas du tout branché technologie, mais je crois que nous fonctionnons de la même manière que les techniques que nous mettons en place. Finalement, c’est nous qui imitions l’intelligence artificielle. J’ai souvent l’impression que la peinture que je produis aurait pu être faite par un algorithme, que je propose des tableaux génériques qui font la synthèse d’une culture visuelle en la vidant de ses contenus culturels.
Certaines de tes pièces sont le fruit de collages, fais-tu en amont des collages numériques ?
- J’essaie de ne rien faire en amont ou en aval de la peinture elle-même. L’important c’est ce qui se passe sous mes yeux.
Dans la postproduction de tes tableaux comment appréhendes-tu les photos de tes œuvres et leur diffusion sur les réseaux sociaux, internet, leurs changements d’échelle ?
- Comme une confirmation de ce statut de "leurre", de trompe-l’œil. L’aplatissement et la standardisation de la manière de poster les photos me plaît beaucoup, il y a un effet random dans la production actuelle ou un tableau pourrait en remplacer un autre. Évidemment à l’inverse, les expositions sont l’occasion de créer un rapport concret aux œuvres, de construire un espace mental dans l’espace architectural, c’est la récompense pour les personnes qui s’intéressent un minimum à la réalité physique.
Tu es né avec l’émergence d’internet et de nombreuses technologies actuelles, en temps qu’artiste, et ancien étudiant en école d’art, comment ces éléments ont modifié tes habitudes de production, transformé ta pratique ?
- C’est surtout l’arrivée du numérique qui a créé une photogénie évidente dans la peinture, les tableaux se sont retrouvés à "prendre la pose", et en même temps cette superficialité a libéré la peinture d’un certain esprit de sérieux.
Je remarque sur ta production artistique qu’elle tend vers davantage de matérialité que tes travaux plus anciens; collage, superposition de peinture, tamponnage, ponçage, choix de toile parfois brute. Tes peintures récentes ne sont pas lisses et homogènes. Bien entendu ses choix artistiques sont la somme complexe de nombreux facteurs et de recherches dans ta pratique, mais penses-tu que ces choix puissent être influencés par l’appauvrissement matériel des images qui baignent notre quotidien ?
- Oui c’est possible, il y a un plaisir un peu régressif à frotter une peinture par terre ou à sauter dessus à pieds joints, à décoller un morceau de papier ou à jeter les pinceaux comme des fléchettes sur la toile. Ça ce sont des outils qu’on ne trouve pas sur Photoshop. La matérialité du tableau fait partie de son identité d’objet unique, c’est sa joie et sa liberté.
Au final « less is more », sans les outils numériques on prend davantage conscience de ce peuvent réaliser des outils manuels et ce que la peinture peut offrir.
- Les châssis aluminium, la toile de lin enduite par une machine, les agrafes, la peinture flashe, ça me paraît une technologie très actuelle.
J’imagine que tu as davantage le contrôle sur le temps de la peinture, le temps de l’atelier. Un geste dans l’atelier peut être long ou très court, prendre de nombreux paramètres physiques en compte alors qu’avec Photoshop on peut obtenir une multitude de possibilités en un rien de temps, effacer revenir, etc. Tout cela juste avec le bout de son index, les choix deviennent plus difficile paradoxalement. Comment gères-tu ta production dans l’atelier, as-tu beaucoup de « raté » tu fais une grosse sélection ? T’arrive-t-il de revenir longtemps après sur des toiles « achevées » ou inachevées ?
- Il y a des ratés oui, ça me prend un peu de temps pour le reconnaître. Une fois que je suis sûr, je détruis la pièce. Je suis quelquefois revenu sur des toiles, mais ça n’a jamais marché. C’est comme si j’avais perdu le fil, on ne peut pas coller deux moments qui ne coïncident pas.
Quand tu dis « libère la peinture d’un certain esprit de sérieux » à quoi penses-tu exactement, une abolition de la hiérarchie des genres ? Ou l’idée que tout peut faire peinture à travers l’aspect photogénique de l’image ?
- Je ne suis pas sûr que ça soit quelque chose de bien, mais ça me paraît évident que peindre n’est plus un acte héroïque, unique, individuel. On ne peut pas sérieusement croire qu’on a quelque chose de spécial. Mais en fait non, la plupart des peintres se prennent encore très au sérieux ! Cette naïveté me sidère un peu.
« Finalement, c’est nous qui imitions l’intelligence artificielle », je trouve cette phrase très intéressante ! Il est sûr qu’un peintre peut difficilement produire aujourd’hui de la même manière qu’un peintre de la renaissance qui n’est jamais sorti de sa région natale. Penses-tu que l’on puisse définir un peintre en 2022 comme une intelligence artificielle qui doute ?
- J’ai toujours été très touché par les personnages de répliquant dans Blade Runner. Qu’est-ce que nous savons de l’intelligence, de l’émotion ? Peut-être que ces choses la vivent en dehors de nous, comme une énergie dont nous captons les signaux. Nous disons qu’elles viennent de nous, de notre cerveau ou de notre cœur, mais la peinture nous prouve le contraire. Je ne suis pas capable d’exprimer une émotion à travers la peinture, car l’émotion vient de la peinture elle-même, et souvent j’ignore complètement comment l’interpréter.