Par Paul Bernard
Au XVIIIe siècle, l’élite cultivée de l’Europe parcourait l’Italie pour y parfaire ses humanités. De nombreux artistes ont fini par s’y installer et forger une tradition picturale romantique, avec ses paysages arcadiens et ses ruines mélancoliques. Parmi eux, Johann Heinrich Tischbein, Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Hubert Robert…
En choisissant de titrer son exposition Le Voyage en Italie, Hugo Pernet s’adosse évidemment à cette histoire classique de la peinture. Ainsi, avant même que l’on en franchise le seuil, notre appréhension de l’exposition est déjà légèrement infléchie. Outre son importance dans l’histoire de l’art, le syntagme exhale inévitablement une odeur, un goût, une musique et de nombreuses images : les cyprès de Toscane, la lumière de la Méditerranée, les palais défraichis, l’exubérance baroque, Rome, Florence, Venise…
Ce sont les visions de cette « italianité », de ce territoire fantasmé davantage que les instantanés d’un voyage réel qui ont motivé la série. Et pour cause, H. Pernet ne s’est jamais rendu en Italie.
Cette façon de prendre à revers les attentes suggérées par un titre, que ce soit celui d’une exposition ou d’un tableau, est récurrente chez l’artiste. Elle permet au passage de rappeler l’importance des titres chez les peintres abstraits les plus mutiques : Kasimir Malevitch et son Réalisme pictural d'une paysanne en deux dimensions, Piet Mondrian et son Broadway Boogie Woogie ou Barnett Newman et son Vir Heroicus Sublimus… Quelques mots suffisent à suggérer un « sens figuré » aux compositions rigoristes, à rendre la peinture hybride. Abstraction et langage appartiennent tous deux au régime du symbolique, du signe arbitraire, et il n’est sans doute pas anodin que H. Pernet, outre son activité de peintre, ait publié de la poésie.
En réalité, cette série, que nous appellerons « italienne », a été d’abord pensée pour une exposition à Naples intitulée Brushstroke Story et qui n’a finalement jamais vu le jour. Au fond, Le Voyage en Italie, comme l’explique l’artiste, « c'est l'histoire d'une exposition qui n'existe pas et d'un voyage que je n'ai pas fait dans un pays inventé par les peintres. Il existe des peintures et c'est la seule chose vraie. » Sur le ton de la (vraie/fausse) confidence autobiographique, l’anecdote doit nous faire comprendre que c’est moins l’Italie comme sujet qui importe que l’idée de narration, de fiction, comme le sous-entendait le premier titre.
D’abord les formats, de dimensions variables mais presque tous carrés, font exister plusieurs sous-ensembles comme autant de « comic strips ». Alpes, Temple et Pigs notamment, mis côte à côte, pourraient presque se lire comme la fonte d’une pâtisserie qui laisserait découvrir un échafaudage instable. Il y a ensuite ce trait horizontal systématique qui semble installer les formes sur un plateau, théâtral ou culinaire. Une manière de narrativiser l’espace qui rappelle La Linea, ce dessin animé d’Osvaldo Cavandoli ou une petite créature curviligne ne cesse d’arpenter la même ligne d’horizon. Pour quelques tableaux, on songe également à Snake, ce jeu vidéo de quelques pixels où il s’agit de déplacer une ligne qui ne cesse de grossir dans un espace réduit.
D’une toile à l’autre, nous assistons bien aux aventures d’un pinceau – c’est le même qui a été utilisé d’un bout à l’autre de la série – dont les mouvements seraient dictés par une palette réduite, une peinture très diluée et un tracé à main levée. Dans ces conditions, il s’agit pour le peintre de faire apparaître rapidement une figure qui, sans jamais se faire explicitement image, est connotée par le voyage italien. Si l’on est prêts à accepter les titres proposés, il y a là des ruines, une fresque, un parc, un temple, un panorama… Même le romantisme des peintres cités plus haut ressurgit finalement dans le pathos de la coulure, dans le sentiment que tout est au bord de l’effondrement.