Les tableaux réunis dans l’exposition « Soleils couchants » représentent des figures simplifiées (des poires, des billes) posées sur un fond monochrome, orange ou vert ; orange pour le soleil couchant, vert pour le clair de lune. Les soleils couchants, c’est l’image poétique-type, une image générique, comme celles que l’on retrouve sur les cartes postales. Ces vues correspondent à un moment, les vacances, un temps improductif pendant lequel regarder peut être une activité à part entière, satisfaisante en elle-même. Pareillement, l’exposition est comme une invitation à prendre le temps de regarder des choses simples.
Le choix des sujets exprime une certaine mélancolie, teintée d’ironie. Être pris pour une bille, ou une poire, c’est le risque à prendre quand on s’expose. Être une bille, c’est aussi l’antithèse de la maîtrise. Ces « billes » sont en fait des globes oculaires. Elles fonctionnent comme des synecdoques en peinture, les yeux se substituant aux personnages. De même que dans ce qui est figuré, la partie vaut pour le tout, de même les peintures en tant que telles ne sont qu’une « partie » de figuration. Le dessin est tellement simplifié qu’il en devient lui aussi générique. Les tableaux sont des figurations en partie, ou partielles.
Les toutes premières peintures d’Hugo Pernet étaient en fait des images d’abstractions : les compositions reprenaient en noir et blanc, ou en couleurs inversées, des peintures célèbres de l’histoire de l’abstraction. Face à elles, il était difficile de déterminer s’il s’agissait de peintures abstraites, ou d’images de peintures abstraites. Dans le même ordre d’idées, dire que les figurations récentes auraient succédé à une période abstraite serait inexact. L’opposition abstrait / figuratif n’est pas vraiment pertinente, car en fait, il n’a pas cessé de faire structurellement la même chose. Et ces nouvelles peintures utilisent le même procédé d’inversion des couleurs que dans les (images de) peintures abstraites précédentes.
L’ombre portée distingue les figures d’un fond abstrait. C’est un signe de profondeur, son indication minimale. L’espace est signifié par cette ombre, plus qu’il n’est véritablement représenté, l’arrière-plan restant parfaitement monochrome. Les poires sont posées sur ce fond aussi abstrait qu’une scène de théâtre, comme les personnages d’un drame éclairés par des poursuites. Leur exposition sur cette scène suppose qu’elles aient préalablement été détachées de l’arbre. En ce sens, ce sont des natures littéralement mortes, aussi mortes que le serait un personnage qui ne serait constitué que d’un œil, à l’exception de tout autre organe. Et d’autant plus qu’il s’agit de fictions schématiques, et non de peintures faites d’après motif.
La nature morte est à peine un sujet. Historiquement, c’est même un autre nom du « hors-sujet ». Et avec le développement de l’art moderne, comme dans un tableau figurant des meules de foin, ce sujet est devenu de plus en plus ténu, en venant presque à « manquer », comme disait Kandinsky. Le choix des poires est aussi une façon de se raccrocher à une histoire qui, des asperges de Manet aux pommes de Cézanne, n’a pas seulement mis en avant le « primitif » dans l’art, mais aussi les primeurs.
Les tableaux sont faits pour être regardés. Et pour avoir une chance de l’être, croiser le regard du visiteur est une manière, depuis cette même époque moderne, de capter son attention. Les yeux sont une mise en abîme du regard qu’on peut avoir sur les tableaux. En impliquant le regardeur, chaque peinture devient un des personnages participant à un récit qui s’est déplacé de l’intérieur du tableau à l’exposition elle-même.
Vincent Pécoil, novembre 2018